Quand les cœurs se brisent
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« Tu me brises le cœur ! ». Une phrase surfaite ? Peut-être. Une phrase dont il n'y aurait rien à apprendre ? Certainement pas, au contraire. Car le moment où les cœurs se brisent peut amener dans son sillage la vérité et le bonheur.

Quand les cœurs se brisent-ils ? Au bout d'une gestation, généralement longue, qui aura commencé par l'attaque d'un des piliers de la personnalité : le kavod.

Le kavod, que l'on pourrait traduire par honneur ou amour-propre, est cette composante pesante, lourde (en hébreu, kaved), donc cruciale. Pourtant n'allons pas faire l'erreur de croire que le kavod touche à la susceptibilité, et que manquer de kavod à autrui serait finalement provoquer la réaction d'un être hypersensible, au sens le plus péjoratif du terme. Loin de là !Le kavod est littéralement essentiel, puisque D.ieu, Être essentiel au paroxysme, est appelé Melekh hakavod (Tehilim 24,7), c'est-à-dire le Roi de Gloire.

Ainsi, mépriser le kavod d'autrui revient à le renier fondamentalement, pas moins que cela.

Et c'est donc à partir d'un manque de kavod qu'une période longue et pénible peut commencer, sorte d'ère glaciaire durant laquelle le cœur se fige. Quand un individu éprouve la sensation (justifiée ou fantasmée) que son kavod est menacé, il se protège. Il s'agit d'un réflexe urgent, d'un réflexe de survie. En la matière et pour reprendre le terme, l'une des stratégies de défense vise à fantasmer l'agresseur ; à le rendre le plus terrible, le plus hideux, le plus injuste possible. Nuire au kavod, à défaut d'être un crime contre l'humanité, est un crime (et des plus vils) contre l'humain.

À ce stade, la relation entre « agresseur » et « agressé » cesse en l'occurrence d'être une relation humaine. C'est une relation désincarnée, où le symbole se substitue à la réalité. Ce ne sont plus deux personnes qui se font face, c'est le symbole d'un mal abject devant être vaincu par le bien triomphant.

Mais laissons là ce discours un peu trop théorique pour fournir quelques exemples. Citons les parents qui refusent de faire confiance à leur enfant sous prétexte qu'il manque de maturité ; citons un chef de service qui bride les employés les plus jeunes car ils pourraient lui ravir sa place ; citons un mari refusant obstinément que son épouse participe aux décisions du foyer car le commandement est une affaire d'hommes.

Reconnaîtriez-vous là une personne connue ? C'est normal ! Ces cas d'école sont courants. Dans ceux-là et dans d'autres encore, le schéma est invariable : la relation repose sur la négation du kavod de l'un des protagonistes. Et en fait, comme je l'écrivais plus haut, il n'y a même plus à parler de relation. On s'est déplacé dans un contexte de lutte pour l'expression de sa propre personne, d'une lutte pour conquérir ou reconquérir une place qui aura été injustement volée. Combien de cris, combien de larmes sacrifiés sacrifiés sur cet autel qui n'existe même pas ? Car au fond chaque être possède une place, c'est-à-dire un contexte existentiel dans lequel il devrait pouvoir s'exprimer le plus légitimement du monde. Pour le dire dans le langage de nos Sages : 

Ne méprise aucun homme et ne bannis aucune chose, car il n’est pas d’homme qui n’ait son heure ni de chose qui n’ait sa place.
Pirqei Avoth 4,3

Hélas, à cause d'un orgueil mal géré, qui provient à son tour d'un doute quant à son propre kavod, à sa propre valeur, l'homme a la tentation de brimer son prochain. Il n'est d'ailleurs pas rare qu'il s'agisse d'une personne aimée, en premier lieu son époux ou son enfant. Pendant longtemps, parfois pendant des années, des cœurs figés se croisent sans se rencontrer. Figés par peur de s'exposer et donc d'être écrasés davantage. Oh ! Que le kavod a décidément de l'importance ! C'est bien lui, l'authentique hypersensible, c'est lui qui s'émeut au moindre bruit !

Après des années de ce triste régime, les cœurs ne sont pas seulement figés. Ils sont également usés. Usés à cause du manque de ce qui les aurait immédiatement réchauffés : quelques mots d'encouragement, de reconnaissance… quelques mot d'amour, pour tout dire. Mais les mots, cela fait longtemps qu'ils ont été oubliés. Or quand il n'y a plus de mots, serait-ce des mots jetés dans les cris, quand il ne reste que le silence entre deux personnes qui s'aiment, même les cœurs les plus endurcis finissent par déposer les armes. Alors ils se brisent. Et quand les cœurs se brisent, les mots reviennent, et avec eux… la vie.

L'auteur, David Benkoel

Analyste, j'aide des personnes passant par diverses difficultés psycho-émotionnelles à se reconstruire.
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