La vie impose parfois des épreuves pénibles qui ébranlent les repères et remettent radicalement en question.
À la suite de ces expériences (par exemple un revers amoureux, un échec social ou le décès d’un proche, D.ieu nous en préserve), on éprouve souvent un élan de techouva (retour vers D.ieu).
Cet élan offre principalement 3 caractéristiques : il est nouveau, il est soudain, il est puissant. On pourrait même noter qu'il n’est absolument pas pensé. En fait, cet élan ne nous appartient pas totalement. Il s'agit d'une force irrésistible dont on ne sait pas trop la provenance.
Pour citer cette terrible expérience de nouveau, après un décès on se sent presque le devoir de faire techouva, d'améliorer quelque chose dans le domaine religieux. Mais il faut être clair : inconsciemment ou non, « on se rapproche de la religion », comme le disent certains, plus pour le défunt que pour soi-même. Plus qu'un devoir, c'est une sorte de mission dont on se sent investi, même si le terme peut étonner. Seulement, la peur (car faut bien nommer ainsi le sentiment responsable de ce brusque réveil) réfléchit-elle ?
Mon propos n'est pas de dénigrer l'élan de techouva survenant après une épreuve. Il est plutôt question de le caractériser. Pour tout dire, ce genre d'élan est admirable. Tout élan vers D.ieu qu’un être ressent en son cœur, toute velléité de techouva est une perle pure et précieuse ; le but de l’homme sur terre n’est-il pas de s’attacher à son Créateur ?
Cependant, il faut considérer d’un œil critique cet élan à présent mieux défini. Ceci pour une simple raison, surprenante de prime abord : une aspiration positive non maîtrisée peut être destructive.
Je voudrais me contenter de proposer un début d’explication, car l’approfondissement sortirait du cadre de cette publication.
D.ieu a donné à l’homme l’insigne privilège de parachever Sa création, grâce au « bien » (au sens du principe même de la Création : la Torah) qu’il peut y accomplir. Pour qu’il existe une récompense, il faut nécessairement qu’il existe un mérite ; et pour qu’il existe un mérite, il faut qu’il existe un certain attrait pour ce qui est contraire au « bien ».
Aussi D.ieu a-t-Il créé dans Son monde des forces négatives, désignées par l’expression araméenne « sitra a'hra » (littéralement « l’autre côté »). Quand du « bien » s’accomplit hors du cadre idéal et constructif de la « mitsva » (commandement Divin), « l’autre côté » s’en empare et l’utilise pour saccager le monde.
Un exemple ? Une relation intime entre frère et sœur, curieusement appelée « 'hessed » (bonté, bienveillance) par la Torah : Si un homme épouse sa sœur, fille de son père ou fille de sa mère, qu’il voie sa nudité et qu’elle voie la sienne, c’est du… 'hessed (Vayiqra 20,17). Il s’agit là d’une bonté (au sens d’une pulsion d'amour) sans aucune limite ou retenue. Et ce « 'hessed » à l’état brut si l’on peut dire, qu'il convient en l'occurrence de traduire par « impudicité » ou « inceste », est un exemple extrême de « bien » utilisé par les forces de « l’autre côté ». Beaucoup d’autres exemples existent, plus subtils.
J'en reviens au sujet. Ainsi, succomber à un élan de techouva non maîtrisé libère soudainement toutes les occasions d’avoir voulu faire le bien sans l’avoir pu, tous les appels de la nechama (l’âme) jusqu’alors passés inaperçus, à l’image d’une lumière intense ayant été retenue par un abat-jour épais.
À cet instant précis, que se passe-t-il en l’homme ?
Pour le comprendre, il faut s'intéresser au célèbre verset tiré du Chema’ Israël : « Ces paroles-là que Je t’ordonne aujourd'hui seront gravées sur ton cœur » (Devarim 6,6). Or pourquoi utiliser une formulation inhabituelle (« sur ton cœur » au lieu de « en ton cœur ») ?
Au fond de lui, chaque homme voudrait croire en D.ieu, Le louer, L’exalter, Le servir. Mais son cœur de pierre l'empêche de se hisser au niveau qui pourrait être le sien. Incapable de l’atteindre, ces émotions positives, loin de disparaître, se déposent justement sur son cœur. Conformément au verset précédent, elles restent gravées sur ton cœur. Et quand dans la vie survient une épreuve, quand la vie cause un de ces chocs capables de fendre le cœur le plus dur, ce qui était posé dessus pénètre enfin en l’homme.
Suite à un choc émotionnel, l'homme éprouve donc le besoin de changer, pris dans un irrésistible élan de techouva. C'est alors que tous les remords passés et refoulés, jaillissent. Ne pensant qu’à rattraper le temps perdu, il prend sur lui toujours plus. Le respect du Chabbath, la cacherouth, les lois du langage, les lois de pureté familiale, la prière, l’étude, le travail sur les traits de caractère, les tefiline : tout y passe ! On amasse, on dévore, on succombe à une boulimie spirituelle qui ne dit pas son nom.
Le témoin extérieur de ce genre de techouva spectaculaire sera généralement admiratif. Face à qui parvient à modifier son mode de vie du jour au lendemain, les éloges sont méritées. On le félicite, on le cite en modèle, on l’envie en secret !
Parfois hélas, tout ceci peut n'être qu’un leurre. Sans que le sujet lui-même s'en doute, la techouva peut être le prélude à une chute que personne ne saura expliquer quand elle adviendra. Comme je l’écrivais, une telle personne ne dirige pas sa techouva mais la subit presque malgré elle. « L’autre côté » qui s’apparente dans ce contexte à son yetser hara’ (mauvais penchant), orchestre en fait tout le processus de main de maître.
Pourquoi écrire que le yetser hara', l'ennemi intime numéro un pour ainsi le nommer, serait à l'origine d'un puissant élan de techouva ? Au contraire ! La techouva procède du Bien, non du Mal !
Pour éclairer ce paradoxe, je prendrai une image. Quand un soldat isolé voit fondre sur lui une armée déterminée qui s’apprête à le submerger, songe-t-il à combattre ? Non, bien entendu. Il ne pense qu’à fuir, à survivre. De même, quand le yetser hara’ voit fondre sur lui cet élan pur de techouva, peut-il s’y opposer ? Pas davantage. Seulement, le yetser hara’ est un ange. Redoutablement puissant, il ne s'avoue pas si facilement vaincu. Même en sous-nombre, il brigue encore la victoire avec une stratégie pour le moins déroutante : encourager l’ennemi.
Contre toute attente, c'est une stratégie payante. Réalisons : comme le yetser hara’ veut perdre l’homme puisqu'il cherche à le tuer (Tehilim 37,32), il a tout intérêt à porter sa techouva aux nues le plus rapidement possible. Ainsi, il grise et donc prive de conscience, pour un processus qui en a besoin. Une techouva sans conscience, c’est un engagement fort mais à l’aveuglette. Or qui accepterait de signer un papier dans un état second ?
En somme, pour anéantir le Bien, le Mal l’encourage, comme l’illustre cette parabole.
Pris en flagrant délit, un cambrioleur s’enfuit en toute hâte. Alertés par le bruit, des passants se lancèrent à sa poursuite en criant : « Par ici ! Attrapez-le ! ». Le cambrioleur déboucha sur une place publique et se mêla à la foule. Alors il pointa son doigt dans une certaine direction et se mit lui-même à crier : « Par ici ! Attrapez-le ! ».
Quand le yetser hara’ joue les conseillers et propose à l’homme une stratégie pour le poursuivre, l’écouter serait folie…
La seule solution permettant d’échapper à une défaite programmée est de canaliser l’élan de techouva qui, en soit, reste évidemment positif. En se réappropriant sa techouva, l’homme peut l’adapter à sa mesure, mais aussi l’orienter.
À noter : certaines épreuves peuvent évidemment réveiller l’homme en bien, et la techouva qui s’ensuit est salutaire. Il importe seulement qu’elle lui appartienne pleinement, et là est l’enjeu de cette publication.