Il y a quelques mois, mon mari a perdu son emploi et il en a été fortement affecté. Dep…
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Il y a quelques mois, mon mari a perdu son emploi et il en a été fortement affecté. Depuis, il a perdu confiance en lui, échoue à ses entretiens et n’arrive pas à retrouver un travail. C’est un cercle vicieux dont il n’arrive pas à sortir. Comment puis-je l’aider à reprendre confiance en lui ?

C'est une question à la fois tragique, vaste, pertinente et contemporaine que vous posez. Elle résonne au fond comme un écho humain face à une société qui a hélas tendance à se déshumaniser et, pire, à encourager la réussite au prix de sa propre déshumanisation. Mais quelle réussite ? On se le demande, quand l'individu sort gagnant au détriment de la collectivité.

Quoi qu'il en soit, je vais tâcher de vous proposer trois idées qui, je l’espère, aideront votre mari dans son épreuve. Et puisque ce n’est pas lui mais vous qui m’interrogez, vous serez si vous le permettez au centre de la réponse.

Pensez-vous que votre mari désire être mis en échec ? Désire-t-il ce « cercle vicieux » que vous évoquez et qui, sans l’ombre d’un doute, le fait immensément souffrir ? Non, évidemment. Personne n’aime souffrir. Aussi, pourquoi votre mari ne parvient-il pas à retrouver le chemin de l’épanouissement ? La raison peut être réduite à ces mots, apparemment sans rapport direct : l’être humain est limité.

L’individu bénéficie de capacités variées. Ces capacités ressemblent à des réservoirs plus ou moins profonds, mais limités de toute façon. Ainsi, la réserve d’amour dont l’individu dispose est limitée. D’où, au passage, l’importance de prioriser son amour, car si on le dilapide en faveur de parfaits étrangers, que reste-t-il encore pour les proches ? La réserve de patience, la réserve d’intelligence, la réserve de courage et même la réserve de foi sont tout aussi limitées. Comme vous le constatez, les exemples ne manquent pas.

Dans le cadre qui nous préoccupe, la réserve de tolérance à l’échec n'échappe pas à la règle : elle est limitée. Chez certains elle est plutôt faible, si bien que la moindre déception évolue volontiers en abattement. Chez d’autres cette réserve est plus importante, si bien que les échecs sont vite digérés. Quoi qu’il en soit, chez les uns comme chez les autres cette réserve est réduite. À force d’infortune, toute personne finit par s’écrouler… à plus ou moins long terme. Pour user d’une métaphore, si la réserve de tolérance à l’échec était un verre de boisson, la frustration serait une bouche assoiffée. Plus la frustration sévit, plus la tolérance à l’échec diminue et plus la vie devient pénible.

De cette idée générale, il est possible d’extraire une certaine particularité. En fait, il s’agit d’un secret : l’homme est plus vulnérable que la femme. L’Homme, avec un grand H, est vulnérable du fait de ses limites. Mais des deux époux, le plus fragile n’est pas celui que l’on croit. En voici la cause : l’homme doit conquérir pour se sentir exister, or ce besoin n’est pas fondamentalement ancré dans la nature féminine. Entre autres choses et pour paraphraser le verset : « Faisons-nous un nom ! » (Berechith 11,4), l’homme a besoin de conquérir son nom, ou plutôt son renom. Il a intimement besoin de revendiquer un statut social, un titre, bref un nom qui le définisse dans la société et l'aide à émerger de la masse anonyme.

L’épouse ne devrait jamais parler à son mari de sa propre vulnérabilité. Ce devrait être comme un secret d’État, en fait un secret de couple, dont l’épouse tiendrait compte avec finesse pour faire en sorte que son mari se sente toujours fort. Et quand bien même tout ne serait là qu'illusion, il n'y aurait rien de bien préjudiciable. Tant que l’homme reste persuadé de sa virilité, quelque chose a déjà été gagné. Et si à son tour il ne manque pas de finesse, il saura reconnaître à son épouse le mérite de le soutenir en secret.

« Comment puis-je l’aider à reprendre confiance en lui ? » me demandez-vous. Voici donc un premier élément de réponse : en étant consciente de cette fragilité typiquement masculine que lui répugne à trahir, mais que son échec professionnel a rendu temporairement apparente. Le fait d'avoir conscience de ce mécanisme malaisé à avouer pour un homme, y compris à s'avouer à lui-même, mécanisme proche du tabou sous certains aspects, pourra vous permettre de l’encourager subtilement de manière adéquate. Si votre mari perçoit dans le regard de son épouse que malgré son échec il reste un homme de confiance, fort et capable, il pourra se relever. Qui plus est, il vous en sera immensément reconnaissant.

La seconde idée à laquelle il importe de réfléchir est un peu plus profonde. Elle découle de la réaction d’Aharon haKohen en voyant deux de ses fils mourir : Aharon se tut (Vayiqra 10,3). De manière essentielle, ce silence correspond à l’intériorisation quand survient une circonstance perturbante, ou tout autre circonstance d’ailleurs. Cette intériorisation, pourtant nécessaire, reste rare. La norme est de réagir au pied levé, de répondre du tac au tac, de donner son avis sur chaque sujet que l'on en sache quelque chose, que l'on en sache peu, que l'on en sache rien. Qu'importe, pourvu que l'on parle. Il faudrait alors pouvoir se demander où est donc passée la profondeur de l’homme ? Si l’homme doit éventuellement réagir, de quelque manière que ce soit, qu’il laisse au moins d’abord à son être intime la chance d’apprivoiser l’événement ! Sans cela, en quoi se démarque-t-il de l'animal qui s'inscrit résolument dans la pulsion, dans l'instantanéité, dans la réaction presque pré-programmée ?

Le silence d'Aharon que la Torah mentionne procède un peu de cela.

C’est le silence de la réflexion et sans doute aussi le silence des émotions, silences qui ont pour vertu de ménager une place à la Connaissance avec une majuscule et, incidemment, d’éviter ces réactions épidermiques qui proviennent d'ailleurs souvent plus du monde fantasmatique que d’une réalité objective. Concrètement, aider votre mari passe donc aussi par le fait de garder le silence, dans la posture générale s'entend, et pas forcément par une absence de parole. Et tout ceci pourquoi ? Pour lui ménager une place afin d'exprimer sa peine. Car sa peine, immense, latente également, doit être exprimée. Elle doit sortir dans la réalité, elle doit être dite et caractérisée à l’extérieur de lui, pour ne pas rester une angoisse sourde, mal définie, qui dès lors ne peut qu'user de l’intérieur.

Qui plus est, en gardant le silence, au moins un temps, vous témoignez du fait que votre mari doute pour quelque chose, qu’il a raison (ou a au moins des raisons) de douter, si l’on peut dire. Pour tout dire, vous reconnaissez son droit à réagir à l’épreuve qu’il traverse. C’est énorme !

Nous en venons à la troisième idée, corollaire de la précédente. Pour faire simple, l’individu perd confiance en ses propres capacités quand son amour-propre a été écorché. En s’intéressant à lui, on répare automatiquement la déchirure car on opère en quelque sorte à la source du mal. Pour être plus rigoureux, on ne redonne pas directement confiance à l’autre. La confiance en soi provient de la volonté, et la volonté reste un processus profond et personnel. Par contre, il est possible d’agir indirectement en établissant un contexte favorable, apte à ce que la confiance en soi puisse se développer à nouveau.

Puisse votre mari retrouver rapidement le chemin de la réussite et, quant à vous, puissiez-vous avoir le mérite d’être une aide face à lui (Berechith 2,18).

L'auteur, David Benkoel

Analyste, j'aide des personnes passant par diverses difficultés psycho-émotionnelles à se reconstruire.
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