Je suis désemparée à cause de mon enfant. Il est fainéant, ne fait jamais rien, soupir…
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Je suis désemparée à cause de mon enfant. Il est fainéant, ne fait jamais rien, soupire quand je lui demande de m’aider dans les tâches quotidiennes. J’ai beau lui demander gentiment, ou parfois m’énerver je l’avoue mais parce que je suis à bout, c’est du pareil au même : il ne fait rien. Comment le sortir de sa fainéantise ?

Pour commencer, j’aimerais vous retourner la question : êtes-vous bien sûre que votre fils soit fainéant ? Vous me rétorquerez certainement que oui, puisque vous en avez la preuve chaque jour. C’est justement ce type de justification qui fournira le point de départ de notre réflexion.

En effet, et je pèse mes mots, ce que l’on voit est rarement ce qui est. Ce que l’on voit est plutôt l’expression d’une logique cachée, qui échappe donc entièrement à la compréhension. On interprète au premier degré ce que l’on voit, alors qu’en réalité on gagnerait avant toute chose à réaliser que ce que l’on voit, constitue déjà en soi une interprétation réalisée[1] par la personne qui donne à voir ce que l’on voit !

Pour en revenir au cas qui vous pousse à me contacter, vous voyez de la fainéantise parce que vous faites le choix d'assimiler certaines manifestations à leur aspect le plus extérieur, le plus trivial. En somme, c’est comme si vous interprétiez une parole comme si elle avait été dite par un enfant en bas âge, qui ne connaît pas encore la saveur de la métaphore, les subtilités linguistiques qui permettent au locuteur à dire bien plus que les mots qu’il choisit. Eh bien, concernant la soi-disant fainéantise de votre enfant, on évolue très probablement dans la métaphore, non dans le factuel.

Vous vous direz alors, qu’est-ce qui m'autorise à prendre ainsi partie, moi qui ne connais même pas votre enfant ? Et vous avez raison, je ne le connais pas, je n’assiste pas à ces moments pénibles pour tout parent conscient de ce qui est en train de se jouer. Ces moments où les parents sentent que leur enfant leur échappe, qu'il les abandonne un peu alors que pour eux il est tout ou, nuancerais-je, qu'il forme un peu de ce tout constitué par ses parents eux-mêmes. Quelle déchirure, donc ! Pour en revenir à la question, ce qui me permet d’être à ce point affirmatif c’est la certitude que la fainéantise n’existe pas. Vous l’avez compris, je veux pas vraiment dire qu’elle n’existe pas, mais que lorsqu’elle se manifeste, elle raconte quelque chose d’autre, elle mime, elle met en scène. La fainéantise est l’expression d’autre chose.

Mais une fois de plus, pourquoi la fainéantise visible ne pourrait tout simplement pas exprimer une fainéantise véritable ? Parce qu'aucun être humain ne peut être fainéant. Ce serait une insulte à la raison que de prétendre cela car la raison, justement, connaît bien la joie à la fois intime et intense que l’être ressent en ayant accompli quelque chose. Sur les bancs de l’école, donnez à un cancre les outils pour réussir, accompagnez-le tout au long de la course pour finalement le laisser franchir seul la ligne d’arrivée : il sera heureux comme jamais.

Une autre voie, peut-être surprenante de prime abord, permet de comprendre que la fainéantise sort des mécanismes fondamentaux de l’être humain : les addictions. Drogues, jeux d’argent, jeux vidéos, pornographie, nourriture, pouvoir, alcool, relations virtuelles, tabac et j’en passe… Dans toutes ces manifestations pour lesquelles celui qui a succombé dit être d’abord malade de l’incapacité de s’en défaire avant d’évoquer les dommages collatéraux eux-mêmes, il y a un fil conducteur. Toutes les addictions ont un effet commun : priver de se réaliser. En d’autres termes, le plaisir intense que les addictions sont à même de procurer, ne hisse en aucun cas l’individu à un palier supérieur dans l’accomplissement de soi. Une victoire dans un jeu vidéo n’est pas vraiment une victoire, car c'est un ennemi imaginaire qui a été vaincu. La prise de drogue, qu'elle soit douce ou dure, n’a pas apporté plus de courage ou de maturité pour évoluer dans la vie. La pornographie n’a pas comblé pour autant les besoins sentimentaux[2] qui poussent à donner et à recevoir de l’amour. La nourriture n’a pas apporté le sentiment de réconfort, ou celui de maîtrise, ou celui de satiété[3] qu’une personne boulimique est susceptible d’aller chercher au fond du dégoût d’elle-même, elle qui se voit comme une vulgaire machine à absorber et à recracher. Un adolescent n’est pas plus sûr de lui quand il partage une photo ou une vidéo avantageuses pour récolter des « likes ».

Peut-être avez-vous compris où je veux en venir ?

L’absence d’action autonome, décidée, l'action précieuse que l'on mène à bien par soi seul puis que l'on apprécie par soi seul de nouveau, fait terriblement défaut aux addictions. L’addiction se pose en machine à déréaliser l’être par excellence, justement parce qu’elle l’empêche d’être. Elle l’empêche de vouloir. Elle l’empêche de recueillir les fruits de son vouloir. Elle l’empêche d’être heureux car tous les plaisirs qu’elles propose sont des plaisirs qui s’enracinent dans le fantasme et non dans le réel. Vous le constatez, on en revient toujours à cette notion de réalisation de soi à travers un acte personnel, même anodin… pourvu qu’il m’appartienne.

Et c’est bien pour cela que la fainéantise ne peut exister, au sens où elle ne fait pas partie des mécanismes humains fondamentaux comme je l’écrivais. L’homme a un besoin vital d’agir, il en a même le désir profond car il sait, il sent que ce qu’il fait contribue à le faire devenir. Ce plaisir-là, particulièrement sain, n’est remplaçable par aucun plaisir addictif.

Pour revenir à votre enfant, j'espère vous avoir convaincu qu'à l’évidence il n’est pas fainéant. Il n'en reste pas moins qu'il exprime quelque chose. Ce quelque chose, là-dessus je suis en plein accord avec vous, est en apparence comparable à de la fainéantise. Qu’y a-t-il derrière l'apparence ? Là est toute la question. Et si mon discours jusqu’à présent pouvait juste vous inciter à questionner les apparences, je crois que cela serait l’essentiel. Et c’est pourquoi la fin de ma réponse, qui catégorise schématiquement les « fainéants », sera beaucoup plus brève.

Des catégories, j’en dénombrerai trois, en insistant sur le fait que je me cantonne aux enfants tels que celui dont vous me parlez, ceux qui montrent peu d’entrain au moment où ils sont sollicités pour agir. J’appellerai ces catégories « le miroir », « l’indécis » et « l’indépendant ». Peu importe d’ailleurs les noms, et peu importe si cette classification apparaît, je le sais bien, un peu caricaturale. L’important est de trouver la grille de lecture adéquate pour comprendre la soi-disant fainéantise de l’enfant afin d’y répondre pour ce qu’elle est vraiment.

Le miroir est, comme son nom le suggère, le reflet par son comportement poussif, ou disons plutôt inégal, d’une absence de fluidité existentielle dont lui-même est le témoin, et dont il souffre. En incarnant lui-même en une métaphore vivante de ce qu’il perçoit autour de lui, il pourra par exemple trahir son expérience de parents en désaccord. En d'autres termes, des parents qui montrent des difficultés objectives à œuvrer ensemble, y compris en associant leurs enfants, et qui passent le plus clair de leur temps à afficher les « bonnes » raisons justifiant l’absence de consensus. Un autre type « d’enfant-miroir » pourra par exemple quasiment mimer, imiter un parent ayant une tendance avérée pour l’inaction. Un parent dépressif par exemple, dont l’abattement, en plus d’être un spectacle affligeant, produit également un message tacite extrêmement néfaste. Ou encore le parent qui ne s’investit pas dans l’éducation par des actes et qui, très souvent, s’investit à très peu de frais par la parole, suivant le dicton : « Fais ce que je dis, pas ce que je fais »

L’indécis est l’enfant qui a besoin d’un petit coup de pouce pour savoir ce qu’il veut. Sa personnalité est peu affirmée et, sans lui dicter ses choix, il faut l’aider à les exprimer. Parfois il a peur d'avoir une simple opinion, parfois on l'a tellement découragé d'être ce qu'il aimerait être que choisir une voie menant à sa vision finit par le troubler. Dans un tel cas, la « fainéantise » traduit une forme d’appel à être accompagné.

L’indépendant quant à lui, ce n’est pas qu’il n’aime pas accomplir. C’est plus que sa fierté à lui, c’est en quelque sorte d’avoir l’idée en premier. Ce n’est pas un suiveur, c’est un original qui tient à décider quoi, quand et comment faire. Dans un tel cas de figure, la « fainéantise » s'assimile plutôt à un mécanisme de défense, pour préserver sa personnalités indépendante des influences extérieures.

Vous le voyez, derrière l’inaction on peut trouver des messages très différents. Et surtout des messages sensés, très loin de la fainéantise caricaturale, des messages à prendre au sérieux, des messages à partir desquels il est possible de construire. Face aux difficultés que vous rencontrez, mon conseil est donc double : identifier ce que votre enfant exprime, pour ensuite décider comment lui parler au plus juste.

Notes

[1]  Consciemment ou non.

[2]  Et qui, eux, n’ont rien de pathologique !

[3]  Nous parlons de satiété existentielle. Dit très brièvement, c'est comme si manger outre mesure, remplir le corps pour chasser le vide, donnait l'illusion d'être essentiellement plein, débarrassé de tout « espace vide » susceptible de révéler un manque affectif douloureux.

L'auteur, David Benkoel

Analyste, j'aide des personnes passant par diverses difficultés psycho-émotionnelles à se reconstruire.
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