De toute façon, c'est mes parents les fautifs !
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Les actualités rapportent régulièrement des épisodes choquants où il est question de parents qui séquestrent leurs enfants, les battent, les abusent, bref les humilient d'une manière ou d'une autre.

Comme il en est de tout iceberg, la partie cachée à l’œil est la plus massive. Aussi de nombreux drames, sans doute moins sordides mais néanmoins douloureux, se nouent-ils chaque jour..

Certes, quand par bonheur on a été choyé durant l'enfance et l'adolescence, on peine à imaginer que cette période puisse représenter autre chose que les plus belles années de la vie. Mais si certains s'intéressent à une vie après la mort, pour d'autres le questionnement concerne plutôt une vie avant la mort.

Etant donné que l'enfant contient l'adolescent et que l'adolescent contient l'adulte, un enfant ou un adolescent traumatisés accouchent d'un adulte qui ressemble à un adulte extérieurement, mais dont la structure intime est brisée. Physiquement, c'est un adulte solide ; psychiquement, c'est un enfant meurtri.

Or de façon générale, ce n'est pas la personne extérieure qui s'inscrit dans le monde et donc se réalise, mais la personne intérieure. Tel individu pourra bien se donner des airs de battant ! Quand il se mesure à une circonstance où un pouvoir de décision lucide est exigé, si son être intérieur n'a pas eu l'occasion de se développer, la circonstance lui devient une insurmontable épreuve. La cause en est fort simple : voici notre homme placé devant un défi à relever, pour lequel il ne dispose pas des outils nécessaires.

Ce n'est pas tant la frustration de ne pouvoir relever le défi et ainsi récolter la satisfaction conséquente, qui mine notre homme. Ce qui l'afflige, ce qui le révolte même, c'est une voix intérieure qui lui souffle en substance : « Si tu n'as pas les outils pour affronter la vie, ce n'est pas de ta faute. Toi, tu n'aspirais qu'à être heureux. Ce sont tes parents qui, en t'écrasant, t'ont ravi ta belle envie de croquer la vie comme on croque un fruit juteux ».

L'adulte, l'être extérieur, peste et s'emporte devant l'injustice de la vie. Et l'enfant, l'être intérieur, que fait-il ? Il pleure. Il pleure donc devant l'injustice de ses parents, car eux ont annihilé son irrésistible pulsion de vie au lieu de la développer à force d'amour et de confiance.

Cette situation, qui en soit est déjà préoccupante, peut encore empirer. 

A quel moment ? Au moment où l'adulte laisse les plaintes de l'enfant qui est en lui motiver non pas un combat intérieur (un combat pour la reconstruction de soi, un combat mature, un combat d'adulte en somme), mais un combat extérieur, puéril, contre-productif, inutile. Voici quel en sera le leitmotiv : « Je n'ai pas à payer pour la faute de mes parents. Car de toute façon ce sont eux les fautifs ! ». Si je souffre, ce n'est pas à moi de l'assumer. J'ai été formaté pour cela ; rien d'étonnant à ce que je rencontre des problèmes de couples, des problèmes relationnels, des problèmes professionnels ! ».

Et en apparence, l'adulte a raison. Après une enfance malheureuse où les parents n'ont pas donné ce qu'ils auraient dû donner, l'adulte a toutes les raisons de proclamer que ses parents sont en faute. Seulement, et cette vérité est peut-être un peu crue à dire, la faute des parents regarde les parents, non pas leur enfant, devenu adulte depuis.

Si les parents ont séquestré, battu, violenté, méprisé, leur faute (si faute il y a, nous expliquerons ensuite la nuance) les concerne eux ! L'enfant, en grandissant, doit faire avec ce que ses parents lui ont donné, ou ne lui ont pas donné, en bien comme en mal. Derrière cette nécessité se cache une profonde notion de foi. La foi que D.ieu a précisément donné à l'enfant, l'enfance avec laquelle il serait susceptible de devenir adulte. Parfois une terre est riche, et tout ce que l'on y plante pousse aisément ; parfois une terre est pauvre et il faut travailler davantage pour en faire sortir quelque chose, car telle est la volonté de D.ieu.

Au passage, pourquoi écrivions-nous donc « si faute il y a » ? Parce que les parents ont été des enfants. Peut-être ont-il eux aussi souffert de leurs propres parents ? Et si d'aventure eux-mêmes n'ont jamais eu la chance de dépasser le stade d'asservissement à la souffrance, quels parents sont-ils devenus ? Des parents qui ne veulent pas donner de l'amour ? Non, des parents que ne le peuvent pas, parce qu'eux-mêmes en ont cruellement manqué. Peut-il y avoir faute quand, à la limite, une personne est privée de son libre arbitre ? Que D.ieu (seul) juge (I Chmouel 24,12).

Pour reprendre notre discours, nous parlions de foi. Nous n'en évoquions qu'une facette : les aléas de l'existence procèdent de la Sagesse divine, car D.ieu sait qu'ils permettent à l'homme d'atteindre sa perfection personnelle. Il existe une seconde facette, qui ne doit surtout pas être passée sous silence : ces aléas sont à la portée de celui qui les traverse, car D.ieu n'impose aucune difficulté que l'homme ne puisse surmonter. D.ieu n'essaie pas de mettre l'homme en échec mais de l'élever. Aussi, l'échec signifie plutôt la fin d'un chapitre (d'un point de vue humain) et l'invitation à en commencer un nouveau (d'un point de vue divin).

En la matière, le danger pour l'adulte ayant hérité d'une enfance traumatisante est d'en vouloir à ses parents. Il y passera, si l'on peut dire, sa vie… qui n'en sera pas une. Il réfléchira sans arrêt à quels épisodes marquants passés pourraient expliquer ses échecs actuels. Il perdra son présent, gâchera son avenir, tout cela à cause du passé, c'est-à-dire d'une dimension qui n'existe plus !

La Torah contient un verset que nous pourrions appliquer à notre réflexion : C'est pourquoi l'homme abandonnera son père et sa mère (Berechith 2,24). Non pas que l'enfant doive un jour délaisser ses parents comme on lâche du lest pour gagner de l'altitude, D.ieu préserve ! L'enfant, pour devenir un homme, n'a pas d'autre choix que d'abandonner ce qui le lie au temps où il vivait avec son père et sa mère. Abandonner ne signifiant ni blâmer, ni rejeter, ni refouler, mais utiliser son expérience pour construire, lui d'abord, son couple ensuite, ses enfants pour finir. C'est cela, un homme.

 L'enfant qui a souffert a vécu des moments terrifiants, il n'y a rien à redire là-dessus. Eh bien ! Sa difficulté d'hier, c'est son défi d'aujourd'hui qui le fera accoucher demain d'un homme complet. Et pour devenir vraiment complet, une épreuve attend au bout du chemin. Pour certains, elle peut sembler hors de portée. C'est pourtant la porte qu'il faut pouvoir franchir pour être certain d'en avoir fini avec son douloureux passé : pardonner à ses parents pour le tort causé. Le jour où l'enfant est capable de pardonner, c'est le jour où il accepte rétroactivement l'épreuve que D.ieu lui avait envoyée.

Ce jour-là, il est devenu grand.

L'auteur, David Benkoel

Analyste, j'aide des personnes passant par diverses difficultés psycho-émotionnelles à se reconstruire.
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