La leçon magistrale du cochon vietnamien
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Si vous avez visité le Jardin d'Acclimatation de Paris, vous l'avez certainement aperçu. Pourtant il n'attend pas fièrement le visiteur à l'entrée. Non, sa place à lui n'est pas au-devant de la scène. Il serait même plutôt relégué dans les coulisses, au fond du Jardin, avec d'autres compagnons qui, comme lui, y sont logés et nourris.

Blanchis ? Ses compagnons peut-être, mais sûrement pas lui ! C'est qu'il n'aime pas l'eau. Il n'aime pas grand-chose à vrai dire, si ce n'est manger et dormir.

Et en effet, quand on l'aperçoit enfin, il est le plus souvent allongé de toute sa masse, dans sa propre fange, ce qui ne dérange assurément que la communauté des hommes, puisque lui s'en soucie guère et dort tout son saoul.

Lui, c'est le cochon vietnamien.

Le cochon vietnamien est un animal à part. Il est sale, paresseux et pas très beau, il faut bien le reconnaître. La position allongée semble être, pour lui, une seconde nature. Pour quelle raison le Jardin le garde-t-il ? On peut se le demander, car enfin, en plus de ne sembler vivre que pour dormir, il dégage une odeur repoussante qui agresse les nez les moins sensibles plusieurs mètres à la ronde !

Pourtant, si vous lui rendez visite, vous repartirez avec une leçon de vie fort précieuse. Voici donc la leçon magistrale du cochon vietnamien.

Pour profiter de cette leçon, il faut attendre que le public s'approche de l'indolent animal. La même scène en 3 temps se joue alors invariablement :

1) « Oh ! Regarde, il dort ! » Eh oui, il dort. Il le fait même à la perfection.

2) « Mais c'est fou, ça : il ne bouge jamais ? » Non, jamais ! C'est d'ailleurs le facteur essentiel qui donne à la leçon du cochon vietnamien toute sa force.

3) « Groin-groin ! Grouik, Grouik ! Allez, tu réponds ? »

Cette imitation hasardeuse, qui ne semble pas émouvoir notre cochon, met généralement fin à la visite. Le visiteur tourne ensuite les talons pour s'en désintéresser totalement.

Et c'est bien en cela que le cochon vietnamien du Jardin d'Acclimatation est admirable. Qu'on s'étonne de lui, qu'on se moque de lui, qu'on l'appelle ou au contraire qu'on l'ignore, il ne bouge ni ne répond. C'est un animal stoïque. Son immobilisme à lui est d'ordre physique. Quant à l'être humain, il gagne lui aussi à apprendre la vertu de l'immobilisme, dans le domaine psychique cette fois.

Tout au long de son existence, l'homme est assiégé par nombre d'agressions extérieures. Contrariétés diverses, frustrations, sentiments de danger, peur de l'avenir, agressivité sociale, ces mini-chocs émotionnels à répétition ne sont pas toujours bien vécus. Ou plutôt si, ils sont indéniablement vécus, pleinement vécus, intimement vécus, au sens où leurs effets se prolongent dans l'être intérieur, tel un matériau qui entrerait en résonance sous l'effet d'une onde sonore, et c'est précisément cela qui rend ces mini-chocs toxiques. Ils sont absorbés mais non résorbés.

Ces heurts de l'existence incessants ont un point en commun : ils suscitent une certaine dispersion. La dispersion de l'esprit bien sûr, autrement dit la confusion, l'indécision, le doute, l'arrêt et pourquoi pas, si l'effet se prolonge encore, le dégoût de la vie. 

Ne pas laisser les agressions disperser son être aux quatre vents est donc indispensable si l'on souhaite une vie sereine. Sans parler de ses modalités de développement et même d'apprentissage (tel n'est pas l'objet du présent article), il faut souligner que cette précieuse qualité peut littéralement sauver la vie. C'est par exemple grâce à elle que plusieurs de nos ancêtres survécurent aux camps de concentration, de sinistre mémoire. Elle ne les protégea pas de la destruction physique bien sûr, mais de la destruction morale, de l'aliénation mentale, de l'annihilation de la moindre parcelle d'humanité.

Ceux qui sont sortis des camps étaient bien souvent ceux qui avaient trouvé la force de rester immobiles alors qu'ils en étaient prisonniers. Immobiles face aux aboiements des allemands, les chiens comme leurs maîtres. Plus les bourreaux tentaient de déshumaniser leurs victimes, plus celles-ci se cramponnaient fermement à ce qu'elles étaient : des êtres humains. 

Cet exemple est terrible, innommable, c'est un fait. Cependant, il peut nous faire prendre conscience que si dans un tel lieu de perdition, résister aux vents qui agressent l'esprit, l'identité ou la dignité est salutaire, à plus forte raison dans la vie de tous les jours. La voici, la leçon magistrale du cochon vietnamien : ne pas bouger.

L'auteur, David Benkoel

Analyste, j'aide des personnes passant par diverses difficultés psycho-émotionnelles à se reconstruire.
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