Poursuivons la première partie de ma réponse avec un cinquième point consacré à votre sœur.
Comme je l'explicitais avec la métaphore du tandem, pour construire une relation il faut être deux. Quant à votre sœur, pédale-t-elle en sens inverse pour ainsi dire ? Peut-être ne veut-elle après tout pas de cette relation. Je sais bien que ceci peut être surprenant, voire offusquant, mais y avez-vous quand même songé ? Si tel était le cas, sans doute aurait-elle des raisons fort louables.
De manière générale, quand une personne recherche l'éloignement, plus encore dans un contexte où la norme se situerait à l'opposé, eh bien elle « parle », au sens où elle transmet un message construit, chargé de sens. Il est possible qu'une telle personne parle avec des mots qu'elle ne connaît pas elle-même, car pour en disposer il faudrait qu'elle ait réussi à identifier les mécanismes sous-jacents. Il est aussi possible qu'elle connaisse parfaitement les mots qu'elle aimerait dire, mais, jugeant qu'ils seraient blessants ou encore que son interlocuteur ne pourrait les accepter, elle les tait et leur préfère une attitude distante, par pudeur, par gêne… et parfois par bonté. Dans quel cas de figure évolue votre sœur ? Je l'ignore. Mais quoi qu'il en soit, la coupure dans le cadre d'une relation conserve une signification riche. En fait, si la coupure ne dit rien par elle-même, elle cache et même souvent retient un puissant flot de mots.
J'ignore dans quelle mesure vous et votre sœur êtes aujourd'hui éloignées. S'il est nécessaire de construire les bases-mêmes de votre relation, ce que l'on s'attendrait typiquement à partager avec un « simple étranger », eh bien il faut en passer par là, sans honte d'ailleurs. Si par contre les bases sont acquises et qu'il paraît possible de demander à votre sœur[1] le pourquoi de sa distance sans pour autant déclencher une gêne difficilement gérable, alors il faut aussi en passer par là. Dire à un proche quelque chose comme : « Je t'aime, et c'est précisément parce que je t'aime que je souffre de ne pas pouvoir t'exprimer mon amour » est un acte noble car rempli de maturité. De force également. La personne forte n'est pas la personne qui n'échoue pas, vous le savez bien. Nous échouons tous en permanence ! Nous faisons d'innombrables erreurs d'appréciation, nous passons à côté de la vérité, la piétinons au passage allègrement quand ça nous arrange, et puis nous la voilons encore aux autres en utilisant le mensonge et la ruse, nous nous détournons d'elle par pure facilité, nous vexons les uns et les autres sans même nous en rendre compte, parfois nous vexons volontairement, sans vergogne, en nous persuadant être en droit de le faire. C'est le lot de la nature humaine. La personne forte est en fait la personne qui refuse que son échec la paralyse définitivement. L'échec peut paralyser un moment, là encore il n'y a rien de honteux ou d'anormal. Mais la durée de ce moment révèle, de manière inversement proportionnelle, la force intime[2] de l'individu.
Pour terminer avec un sixième élément qui me paraît tout aussi fondamental, permettez-moi de rebondir sur les mots suivants, cité en introduction de la première partie : « elle n'est pas très religieuse moi je le suis ». Le fait qu'apparemment vous ayez entamé une techouva contrairement à votre sœur doit vous mener à une certaine réflexion, pour ne pas dire à une certaine forme de responsabilité. Car on touche à un effet inattendu, à savoir l'évolution des rapports humains entre la période précédant une techouva et la période consécutive. Laissez-moi développer cela.
Si l'on parle énormément de techouva, on n'aborde presque jamais une notion pourtant très voisine. Il s'agit des pièges et des dangers de la techouva. La techouva est un voyage merveilleux, courageux, inspirant, et je pourrais continuer avec d'autres adjectifs et superlatifs. Cependant, au risque de briser le charme, il faut savoir que le voyage n'est pas sans risques. Il peut parfois causer des blessures, en premier lieu à soi-même, et puis aux autres, que ceux-ci aient entrepris le voyage en même temps ou qu'ils aient été contraints de rester sur place, un peu tristement, réduits à voir inexorablement s'éloigner d'eux la personne qu'ils ne parviennent alors souvent plus à reconnaître…
Vous le savez peut-être si vous suivez mon blog, j'ai écrit un livre intitulé Et par elles, vous vivrez ! Le premier tome a été publié et parlait du rapport à soi[3]. Le second tome est actuellement en phase de relecture. Il parle du rapport à l'autre, de couple et d'éducation. Pourquoi est-ce que je vous en parle ? Parce que je regrette que le troisième soit quant à lui seulement à l'état de notes, loin d'être publié ! Car il est consacré au rapport à D.ieu et, parmi les thèmes abordés, on trouve justement les pièges et dangers de la techouva. Il y est par exemple question du penchant consistant à rendre la Torah étouffante, pour soi comme pour l'entourage ; d'une autre tentation poussant cette fois à porter au-delà de ses forces, ce qui peut mener à un naufrage pour conserver la terminologie du voyage ; d'un troisième type de tentation fréquent lié à une sorte de rigueur à laquelle est susceptible de s'abandonner celui qui veut bien faire et mieux faire, mais là aussi avec des conséquences incertaines[4] ; et puis du découragement tout simplement, puisque la techouva c'est en somme passer de rien à tout, ce qui n'a rien de naturel.
Si le livre n'est donc pas encore paru et que je suis par conséquent dans l'incapacité de vous orienter vers certains passages, il y a au moins une idée qu'il m'est possible d'aborder brièvement dès à présent. C'est une idée fondamentale, qui gagne à faire partie intégrante du processus de techouva. J'irai même plus loin en disant que cette idée constitue tout un pan de la techouva, j'ai nommé la parole, le fait de parler. Or, il serait paradoxal qu'après une techouva, après un rapprochement significatif avec la volonté de D.ieu qui n'est autre que la Torah, on adopte une manière de parler qui bafoue la Torah. Quelle notion suis-je en train d'aborder ? Une notion fondamentale que voici exprimée en peu de mots : la Torah n'a pas été donnée pour éloigner mais pour rapprocher.
C'est pourquoi, étant donné que vous avez eu la chance de goûter au doux parfum de la techouva avec toutes ses nuances, le bonheur de prier, la profondeur et la justesse des enseignements de nos Maîtres, la méditation aux bontés que D.ieu témoigne à Ses créatures et la manière dont Il agit dans Son monde, les clés pour élaborer des réactions profitables avec son prochain, et tellement plus, puisque donc vous avez entrepris de faire techouva, pour revenir à la question qui nous occupe rappelez-vous toujours que votre techouva ne doit jamais[5] être un prétexte d'éloignement vis-à-vis de votre sœur. Bien au contraire ! Celui qui reste à quai en voyant l'autre partir vers le large est susceptible d'éprouver des sentiments très négatifs. Il faut être au moins conscient de cela, pour être capable d'élaborer la posture adéquate avec toute la finesse qu'elle recquiert.
Voilà globalement ce que je peux dire à la lecture de votre message.
Il y aurait toutefois un septième point qu'il aurait été bon d'évoquer. Je ne l'ai pas fait d'une part car il me semble assez délicat, et d'autre part parce que je doute que le conseil qui en découle soit judicieux, du moins maintenant. Plus tard peut-être, quand les bases auront été posées comme j'y faisais référence, c'est-à-dire quand il y aura la reconnaissance et l'acception mutuelles. Mais pour l'heure je me vois mal vous écrire que vous devriez nourrir des pensées plus positives à l'égard de votre sœur, car c'est de cela dont il s'agit.
Pour tout dire, vous proposer ce conseil en l'état actuel des choses me semblerait aberrant. Ce ne serait pas raisonnable, ce serait pêcher par excès d'optimisme[6]. Ce conseil viendra mais en son temps, après que d'autres étapes plus urgentes aient été passées.
Pour autant, il me faut vous alerter sur les conséquences inattendues de la manière dont vous considérez votre sœur. Tenez, vous me confiez vous-même : « notre relation est négative ». Voyons, un tel état de fait n'est-il pas absolument normal ? Sans le savoir, par la pensée, vous catalysez la distance qu'ensuite vous constatez… et dont vous et votre sœur souffrez alors. Permettez-moi de reproduire quelques passages de votre message : je l’ai rejetée, un de mes grands-pères aime dire parfois qu'elle et moi nous sommes l'axe, la majorité du temps où on se parle c'est pour se critiquer, je pense « H24 » du mal d’elle, je la pense égoïste, méchante et tout le tralala, je la vois uniquement d’un mauvais jour.
Tout ceci est plutôt sombre, convenez-en. Or, savez-vous que la pensée est créatrice ? Elle n'est pas immatérielle[7] comme beaucoup le croient. Pour faire court, quand je pense à quelque chose ou à quelqu'un je le fais exister, mieux, je lui confère de la force, de la vitalité. Ainsi, nourrir vis-à-vis de votre sœur le type de pensées que vous décrivez, en permanence de surcroît, conduit fatalement à faire surgir des obstacles qui, eux, n'ont rien d'invisible à l'instar des pensées. Ils sont bien là ces murs, ce sentiment d'éloignement, cette incapacité quasi tangible à nouer des liens, cette force qui vous maintiennent à distance, l'une et l'autre. Si je voulais aller encore plus loin, je vous dirais que ces obstacles correspondent à ce que l'on nomme touma en hébreu. De l'impureté. Ce n'est pas rien !
Mais de nouveau, je ne veux pas trop m'aventurer dans cette thématique car, à mon avis, il est trop tôt pour travailler sur la pensée positive. Le faire vis-à-vis d'une personne que l'on n'a pas encore intégré dans son schéma existentiel, ainsi que ceci apparaît tout au long de votre message, pourrait avoir des conséquences désastreuses.
Il y aurait pour finir un huitième et dernier point qui mériterait d'être abordé. Une fois de plus, je passerai dessus très brièvement car il touche à certaines notions encore plus subtiles que la précédente.
Cet aspect est perceptible dans vos mots : « lorsque je pense positivement je mets la barre trop haute et je suis déçue ». Dit très schématiquement et sans vouloir vous manquer de respect, il est possible que vous ayez développé une approche optimiste des choses mais dans l'excès. Un optimisme exacerbé et sans contrôle véritable, qui jaillirait tous azimuts. Cet excès pourrait provenir d'une forme de « naïveté », si vous me permettez le mot, qui aurait la faculté subjective de rendre la vie belle et facile, très artificiellement donc. Si tel était le cas, il faudrait encore comprendre les raisons qui vous auraient menée à développer ce mécanisme qui, après tout, serait probablement un mécanisme de défense. Un mécanisme assez élaboré du reste, puisqu'il vous permettrait d'éviter une agressivité projetée par les circonstances de l'existence ou par les gens, agressivité que vous auriez ensuite du mal à gérer à cause d'une certaine fragilité personnelle.
La subtilité d'un tel schéma réside dans le fait qu'il conduirait à contre-balancer un premier processus excessif (« je mets la barre trop haute ») par un second mécanisme de défense, visant très ironiquement à se préserver du premier. En deux mots, par le second mécanisme il serait question de voir le monde par le filtre de la « rigueur » afin d'étouffer un optimise exacerbé, de ne surtout pas le laisser s'exprimer, car lui-même serait source de déception et donc de souffrance.
Comme vous l'avez noté, j'ai systématiquement utilisé le conditionnel car je dispose de trop peu d'éléments pour être certain de ce que j'affirme. Mais il me semble qu'il y a là quelque chose à approfondir, et c'est à ce titre qu'il m'a paru utile de vous en parler malgré tout.
En fait, pour progresser encore un peu dans cette idée, permettez-moi d'évoquer la supposition faite plus haut quand j'écrivais : « Quant à votre sœur, pédale-t-elle en sens inverse pour ainsi dire ? ». Et si après tout c'était vous et non votre sœur qui aviez endossé ce rôle-là sans en avoir conscience ? Peut-être craindriez-vous une déception amère, à la mesure de ce qu'une relation entre sœurs promet, et que par conséquent vous empêcheriez[8] l'avènement même de la relation. Une relation certes riche en belles promesses, mais, d'un autre côté, riche en souffrances éventuelles. Une relation qu'il vaut mieux tuer dans l’œuf afin qu'elle reste inoffensive, en somme. De nouveau, je n'ai pas assez d'éléments pour affirmer quoi que soit. Vous-même saurez certainement faire la part des choses.
J'espère que ces quelques éléments vous aideront d'un point de vue personnel, et contribueront à améliorer la relation avec votre sœur.
[1] Avec affection et intérêt, cela va sans dire…
[2] Celle qui ne se voit pas et, à ce titre, mérite d'être pleinement considérée comme de la force.
[3] Si le cœur vous en dit, vous pouvez le découvrir via ce lien.
[4] Je reviendrai sur cette notion de rigueur un peu plus loin, en développant un élément qui pourrait vous concerner.
[6] Ce à quoi je faisais référence avec un article en deux parties qui ne peut renier son second degré, puisqu'il était malicieusement appelé Pourquoi le « coaching Bisounours » ne peut fonctionner.
[7] Sous-entendant qu'en cela elle serait inoffensive, il n'y a rien de plus faux.