Une mère de famille confia un jour à un Rav son désarroi face aux colères répétées de son enfant. Entre autres, voici ce que le Rav lui répondit :
Vous dites que votre fils se met en colère facilement et se laisse aller dans l'expression de sa colère. C'est donc qu'il a entièrement choisi ce moyen d'expression et, s'il l'a choisi plutôt qu'un autre, c'est sans doute parce qu'il ne peut pas, ou ne peut plus, s'exprimer d'une manière différente.
La réponse est déjà, en soi, pleine de sens. Essayons néanmoins de la prolonger par plusieurs questions.
Dans ce cas de figure, les parents ont-ils appris à leur enfant à exprimer soit qui il est, soit ce qu'il veut, d'une manière pour ainsi dire « naturelle » ? Comprendre, d'une manière permettant d'allier la maîtrise de soi à un discours non bridé pour autant. Si tel n'a pas été le cas, il y a fort à parier que la colère est pour l'enfant le moyen de lancer une sorte d'appel à ses parents, afin qu'ils lui apprennent enfin ce qu'ils ne lui ont jamais montré. Car, si la maîtrise de soi reste dans l'absolu un thème fondamental et profond à la fois, nous pouvons rappeler sommairement qu'un enfant auquel la maîtrise de soi fait défaut ressemble nécessairement à un prisonnier qui réclame sa libération avec force. Sa prison, nous le comprenons, est la soumission à ses humeurs, à son ego si puissant et pourtant si fragile dans le même temps, puisque la moindre contrariété suffit à le mettre en émoi.
Autre question : si par le passé l'enfant a exprimé qui il était et ce qu'il désirait, ou au contraire ce qu'il refusait, ses parents ont-ils alors accordé à cette expression de soi l'importance qu'elle méritait ? Si tel n'est pas le cas, la colère serait un signal d'existence ultime. Une espèce de : « Hé, je suis là ! » lancé par l'enfant aux deux personnes les plus concernées par la place qu'il occupe.
Autre piste qui gagnerait à être explorée, l'ambiance familiale. Il va sans dire que si des atmosphères telles que l'insécurité, l'abandon ou l'irrespect par exemple ont libre cours à la maison, la colère n'a rien de surprenant. Elle peut être là encore une réaction possible, laquelle exprime évidemment une angoisse, ou plutôt le refus de devoir supporter son angoisse.
Dernière question que nous aimerions suggérer, la conséquence de l'attachement aux parents. L'enfant, et c'est naturel, vit par le regard de ses parents. Il ferait parfois tout, et nous bien pesons le mot, pour que ses parents soient fiers de lui. Dans cette optique, peut-être la colère de l'enfant fait-elle écho au refus anticipé de susciter la désapprobation chez ses parents ? Sachant qu'il a fait ou qu'il a dit quelque chose que ses parents blâmeraient plus tard, il exprimerait la détresse d'en arriver là… avant même d'en arriver là.
Absence de sensation de reconnaissance de soi, absence de sérénité, refus de décevoir ses parents à l'extrême : voici en résumé quelques causes fréquentes de la manifestation de la colère chez l'enfant.
Il y en a une autre, plus inattendue: le sentiment puissant, inné aussi, de justice. L'enfant, plus encore que l'adulte car celui-ci dispose des outils pour la relativiser, ne supporte pas l'injustice. Car oui, l'adulte peut gérer l'injustice. Il peut même s'investir afin de rendre plus juste une situation injuste, la faire basculer dans le positif, pour lui comme pour la société où il évolue.
L'enfant, quant à lui, ne sait pas faire cela. Une situation injuste, une situation qui le dévalorise, ou le défavorise, une circonstance qui bafoue sa volonté, lui devient très rapidement insupportable. C'est bien sûr aux parents de lui apprendre comment exister, et même comment s'épanouir, alors que tout n'est pas comme il voudrait que cela soit. Ou encore, lui apprendre comment partager avec l'autrui selon ce qu'il est effectivement possible de partager, tout en acceptant que l'autre ne soit pas comme il aimerait qu'il soit. En somme, parvenir à voir le bien dans ce mélange confus de bien et de mal qui s'appelle tout bonnement l'expérience de la vie.
Cette havdala, car c'en est une, nécessite un apprentissage. L'enfant ne peut la mettre en œuvre si les parents ne l'ont pas aidé à forger des outils en ce sens. Nous écrivions en substance que l'adulte dispose des outils de la distanciation. Encore faut-il qu'il ait reçu, sinon directement les outils, du moins les forces positives pour parvenir à les fabriquer, tôt ou tard. Sans ces outils, démuni devant un monde qu'il n'arrive ni à décoder, ni à accepter, l'enfant est bel est bien susceptible d'exprimer de la colère. Une colère aussi vive et imprévisible que le monde subjectivement chaotique qui l'entoure.
La colère devient dès lors l'expression d'une immense frustration, peut-être déjà teintée de désespoir. Et comme un tel constat est préoccupant pour l'enfant, lui qui est si naturellement enclin à la joie !