Un regard nouveau sur la timidité
  Article
  4 min
  391

La timidité est intimement associée au regard de l’autre. Oser prendre la parole en public, oser soutenir un désaccord, ne pas se laisser emporter par l’opposition sociale, mener un simple débat d’idées : ce genre de situations représente le cauchemar ultime de l’individu en proie à la timidité.

Pour lui, la timidité est devenue une faiblesse un peu honteuse, ou plutôt l’antichambre même de la honte. Un poids immense. Et puis, disons-le, un obstacle au bonheur.

D'où provient la timidité ? Nous l’avons dit, du regard de l’autre. Plus précisément, d’une sensation désagréable face au regard de l’autre. Le remède semble tout trouvé, évident de simplicité : pour ne plus souffrir de sa propre timidité, il suffit donc d’ignorer les regards extérieurs. Simple, oui, mais inefficace. Car à plus ou moins court terme, les regards extérieurs finissent par transpercer ce mur d'indifférence que l’on avait, un peu vite, cru protecteur. De toute évidence, on ne peut stopper le regard d’autrui. Il faut donc bien l'inclure dans son équation existentielle. Vivre avec, et bien entendu vivre avec sereinement. De nouveau, comment cela ? Eh bien, non pas en combattant ce regard, ou en s’en cachant, mais plutôt en le détournant.

Telle est l’idée que nous proposons dans le cadre de cet article et qui, nous l’espérons, aidera le lecteur à porter un regard nouveau sur la timidité et, par là même, à trouver des stratégies personnelles dignes de ce nom.

La timidité a une caractéristique d’autant plus intéressante qu’elle peut nous aider à la dépasser : sa permanence. En d’autres termes, la personne timide[1] se sent agressée en permanence. Autour d'elle, tout devient prétexte à l’angoisse. Les regards, certainement[2], les bruits, les éléments du décor, tout ce qui enfin peut être capté par les sens. Très schématiquement, la timidité fonctionne comme un amplificateur doublé d'un transformateur. Comme si toute perception[3] était amplifiée considérablement, avant d’être alors transformée en angoisse. Cette angoisse, vous l’aurez peut-être déjà anticipé, s’ajoute encore aux perceptions qui nourrissent cette déplaisante machine qu’est la timidité.

Il s’agit avant tout de rompre ce cercle vicieux. D'empêcher son caractère permanent de subsister. Comme nous l’avons dit, la chose sera possible ni par l’affrontement[4], ni par la fuite, mais par un savant réglage de notre machine à produire de l’angoisse.

La personne souffrant de sa timidité a de l’énergie. Elle en a même à revendre, sans quoi elle ne réagirait pas, serait tout à fait indifférente, ou plus exactement absente, aux perceptions qui, de fil en aiguille, en viennent à la bloquer. Seulement, son énergie est mal utilisée. En fait, elle est même utilisée en pure perte. Comme nous l'avons dit, elle sert à capter, à grossir démesurément puis à altérer. Et tout cela ne sert à rien… en tout cas, à rien de bon.

Existerait-il une stratégie plus constructive ? Oui. En tout cas, telle est notre conviction.

Imaginez plutôt comment se sentirait la personne timide si, au lieu d’être enchaînée au lieu et au moment dans lesquels elle s'inscrit, un petit peu comme si elle en était le centre ou encore le pilier, elle pouvait s’en détacher, premier soulagement, et se mettait à soudain à constater que sa vie qui, l’instant d’avant, était encore sa prison, pouvait très bien se dérouler sans elle ? Que dans une vision a posteriori, sa vie n’aurait pas besoin de peser de tout son poids sur son être, d'exiger d’elle une sensibilité permanente, épuisante, d'user de sa timidité pour l'user elle. Au contraire, que la même personne, oui, la soi-disant timidité incarnée, se mette à profiter de la vie. Puisqu’elle s’est libérée de son étreinte, elle peut par conséquent lui faire face, et donc établir des modalités de lien avec son entourage plus librement.

Tel est l’issue heureuse que nous envisageons. Et l’idée sous-jacente, idée maîtresse s’il en est, serait de comprendre que la vie n’a pas besoin de moi… tout le temps. Il y a certainement un temps où elle réclame ma présence, mon investissement, qu’elle exige de moi que j’y apporte ma contribution et y laisse en quelque sorte mon empreinte, la trace tangible de ma volonté intime. Seulement, une fois cette étape passée, une fois ma part remplie, une fois le décor organisé, qu’ai-je besoin de me sentir lié à ce décor au-delà du raisonnable, de me croire responsable d’une circonstance désormais apte à se gouverner sans moi, par elle-même ?

Ces propos, peut-être abstraits pour le moment, vont s’éclairer au travers d’un exemple réel.

Une personne avait organisé chez elle une fête pour une certaine occasion. À la joie, à l'excitation strictement positive se mêlait pourtant une angoisse. Et cette angoisse prenait tellement d'ampleur, qu'elle menaçait déjà de gâcher la fête. De quoi était-il question ? En tant qu'organisatrice de la fête, cette personne en serait, sinon le centre d'intérêt, du moins la référence aux yeux de tous les invités. Référence. C'est précisément le mot sur lequel elle insista, et qui suffisait à catalyser ses angoisses.

Ainsi, ce mal-être qui survenait avant même l'occasion qui l'aurait éventuellement suscité, procédait de l'idée selon laquelle la vie, le monde, la foule des invités concrètement, ferait peser sur elle une sorte de poids constant et épuisant, tout au long de la fête. Enfin, « fête ». C'est une façon de parler. 

Du point de vue de cette personne donc, une telle perception était d'autant plus désagréable qu'elle semblait sans issue. Telle une sorte de malédiction implacable qui la poursuivrait jusqu'au départ du dernier invité. Et tout cela pourquoi ? Parce qu'elle pensait[5] que le poids de la fête reposerait sur ses seules épaules.

Alors, nous rappelons la question : s'agit-il vraiment de timidité, ou de quelque autre trait de caractère approchant ? De nouveau, la même réponse. Nous pensons qu'il s'agit d'une énergie à la fois formidable et mal investie.

C'est pourquoi nous avons proposé à cette personne non pas de taire son énergie, ce qui aurait correspondu à quelque chose comme « anesthésier son angoisse », mais de la déplacer. De l'utiliser autrement. D'agir sur la situation avec son énergie, au lieu de subir une situation qui retournait contre cette personne l’énergie qu'elle y mettait.

En clair, il s’agissait d’assurer la préparation de la maison, l’accueil des invités, faire quelques présentations si nécessaire, bref, accueillir et donner leur place, ou plutôt confirmer leur place aux participants, afin que la fête puisse dès lors avoir lieu, tout simplement. Afin qu'elle puisse se dérouler de manière autonome[6], parce que le décor avait été organisé pour.

La conclusion de cette tranche de vie tient du happy-end. Le conseil fut écouté, la fête fut un succès et tout le monde fut content d’avoir partagé ce moment commun. Tout le monde, y compris la fameuse personne à qui nous faisons allusion et qui, soyons-en persuadés, aura trouvé dans cette occasion une manière inédite, plaisante par-dessus tout, d’endosser le rôle de référence.

Notes

[1]  Nous ne parlons ni de pudeur, ni de retenue, ni de tact, mais cette timidité excessive qui gâche la vie.

[2]  Et encore faudrait-il comprendre pourquoi, mais la notion dépasse hélas notre cadre.

[3]  Consciente ou inconsciente d’ailleurs, et là encore nous n'approfondirons pas la notion ici.

[4]  Car une telle posture ne ferait qu'accroître la tension.

[5]  Mais c'était en fait une illusion qui lui jouait un vilain tour.

[6]  Ce que nous appelions plus haut, « se gouverner par elle-même ».

L'auteur, David Benkoel

Analyste, j'aide des personnes passant par diverses difficultés psycho-émotionnelles à se reconstruire.
Si vous avez aimé cette publication, découvrez le tome 1 et le tome 2 de mon livre !

Partagez !