Quelques mots sur la crise d'adolescence...
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S'il faudrait bien plus d'un article pour circonscrire la crise d'adolescence, il en faudrait bien moins pour la résumer. Nous pourrions par exemple dire que la crise d'adolescence ne correspond pas à un cataclysme émotionnel et psychique devant survenir dans la période de l'adolescence, mais plutôt à la crise d'un adolescent. Cette crise s'assimile surtout à une réaction de rejet face à l'assomption (acte d'assumer) imposée implicitement par les parents.

Mais ces mots, s'ils résument parfaitement l'essence de notre thématique, sont trop concis pour que nous nous en suffisions ! Essayons de les développer.

Quand on parle de crise d'adolescence, on admet que les deux notions qui composent cette expression, la crise et l'adolescence, sont inextricablement liées. Tôt ou tard, à 13 ans ou à 18 ans, un adolescent se révolte : c'est ainsi. Nous prétendons quant à nous que ce raccourci idéologique est faux, et même dangereux. Pour tout dire, la crise d'adolescence n'est pas inévitable. Il n'est pas déplacé d'espérer (et surtout d’œuvrer au quotidien en tant que parent pour que cet espoir puisse devenir réalité) que l'enfant traversera l'adolescence sans heurts.

Justement, avant de parler de crise d'adolescence, parlons d'adolescence. En des termes très simples, l'adolescence est le stade qui suit l'enfance et qui précède l'âge adulte. S'il est possible de décomposer à leur tour l'enfance et l'âge adulte en plusieurs stades, il n'en reste pas moins vrai que l'homme traverse trois étapes essentielles au cours de son existence. En tant qu'étape intermédiaire, l'adolescence est donc une période de transition.

Continuons à nous intéresser au sens des mots que nous employons. De façon générale, qu'est-ce qu'une transition ? Une transition est d'une part une progression d'un état à un autre, dont le moteur (parfois aussi la cause première) est l'héritage du premier état, et dont la justification est l'atteinte du second état. Le moteur de l'adolescence, c'est-à-dire ce qui la fait progresser vers l'âge adulte, c'est l'héritage de l'enfance. Une enfance globalement épanouie n'entraîne pas forcément un adulte épanoui, mais au moins elle apporte toutes les forces psychiques potentielles pour traverser l'adolescence. Quant à la justification, au mobile même de l'adolescence, c'est la perspective de rejoindre le monde adulte. Et qu'est-ce le monde adulte ? Le monde où la réalité subjective a remplacé le rêve (alors que dans l'enfance, elle est surtout faite de rêve). Ou plutôt, le monde où le rêve a pu être maîtrisé, orienté par une conscience sachant bien que la réalité objective, des obligations, des lois, des schémas sociaux le supplantent. Cette conscience s'appelle la maturité.

Pour rester dans le sens des mots, comment définir une crise, toujours d'un point de vue général ? Une crise n'est ni un acte de folie, ni une pulsion aveugle. C'est plutôt une réaction logique. Quand l'homme rentre en crise, il réagit ; il réagit à un certain projet que la vie lui propose et qu'il aimerait maîtriser, mais, quand il s'aperçoit que sa structure psycho-émotionnelle ne le lui permet pas, il refuse sa frustration et l'exprime de façon brute. Une crise, c'est donc la résultante d'une inadaptation subjective face à un enjeu objectif.

En utilisant cette définition avec notre thématique, nous obtenons un éclairage inédit. La crise d'adolescence n'est pas de la colère, de la révolte, du mal-être, du repli sur soi. Ces signes n'en sont que les manifestations superficielles. Plus intimement, la crise d'adolescence c'est d'abord une double sensation éprouvée par un adolescent : la sensation qu'il ne pourra pas à supporter la rigueur du monde adulte qu'il rejoint, et la sensation qu'il ne pourra pas abandonner la douceur de l'enfance qu'il quitte.

En résumant, on comprend que l'adolescence est avant tout une période qui doit déboucher sur le sentiment catégorique d'être prêt à assumer son existence en tant qu'adulte. Si ce sentiment est balayé par les doutes, l'adolescence devient une crise continuelle (et non pas ponctuelle), dont les soubresauts se feront éventuellement sentir bien après l'entrée dans le monde adulte.

Incidemment, nous comprenons que l'instigateur de la crise d'adolescence n'est nullement l'adolescent. En fait, il existe deux : les parents ! Des parents qui n'essaient pas[1] de guider leur enfant vers l'autonomie tout en ne le privant pas de la chaleur dont il a besoin, à quelle adolescence le préparent-ils ? Et devenu adolescent, quel adulte se prépare-t-il à devenir ?

Nous comprenons dans le même temps pourquoi l'adolescent se retourne contre ses parents lors de sa crise d'adolescence. Sur un mode généralement inconscient, l'adolescent demande en quelque sorte des comptes à ses parents, ou plutôt à leur éducation. S'il a reçu trop d'amour, il ne se sent pas assez fort pour s'affirmer au milieu des autres adultes ; s'il a reçu trop de rigueur, il a peur d'oser s'affirmer. Dans un cas, il n'a jamais eu les outils pour assumer sa vie d'adulte, dans l'autre cas ses outils ont été détruits. Alors il a peur et se sent d'une certaine manière abandonné par ses parents, qui l'ont mené à un stade de sa vie face auquel ils lui disent implicitement : « Te voici seul, à présent. Avance, mon enfant ! ». Et lui n'a envie que de répondre : « Mais comment, papa, maman ? ». Il reçoit une injonction sans les outils pour l'honorer.

Voici donc ce que nous sous-entendions au début, par cette définition quelque peu rebutante, mais qui désormais devient claire : la crise d'adolescence, c'est le rejet que l'enfant manifeste au moment où les parents lui demandent d'assumer sa vie d'adulte sans l'y avoir préparé.

Notes

[1]  Comme pour toute mitsva de la Torah, D.ieu n'exige pas la réussite mais « seulement » une implication sincère.

L'auteur, David Benkoel

Analyste, j'aide des personnes passant par diverses difficultés psycho-émotionnelles à se reconstruire.
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