Se construire c'est quoi concrètement ? (partie 2/2)
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Pour résumer la première partie de cet article, la construction de soi est un processus visant à la découverte et à la réalisation de son potentiel personnel. Un processus résolument basé sur la conscience[1], puisqu'il s'en nourrit et de toute façon l'exige, et puisqu'il l'apporte au fur et à mesure.

Par souci de rendre les choses plus accessibles, poursuivons notre propos avec un cas concret de construction de soi. Nous l'appellerons « le refus du réflexe conditionné ». L'appellation semble barbare, mais ce à quoi elle fait référence est très commun : la posture devant une situation d'échec déjà maintes fois vécue comme telle.

Réflexe conditionné écrivons-nous ? En premier lieu, ce réflexe peut toucher uniquement à la sphère émotionnelle. Citons l'exemple d'une personne ayant connu une aventure sentimentale passagère et qui, malgré une techouva sérieuse, ne pourrait s'empêcher de repenser vivement à son flirt passé, au moment où elle avise dans la rue une personne qui lui ressemble. Le sentiment pourrait même se transformer en nostalgie ou en abattement (qui n'en est jamais bien loin)… tout cela pour un épisode d'une vie révolue, pour des liens qui furent brisés il y a bien longtemps. Ici, à quoi s'apparenterait le réflexe conditionné ? À un vague-à-l'âme amoureux. L'enjeu de la construction de soi serait donc naturellement d'y échapper.

Le réflexe conditionné, tout en s'exprimant au travers de la sphère émotionnelle, peut aussi basculer dans l'action. En fait, l'objet susceptible d'être investi par le désir, le désir lui-même, et l'acte visant à se lier à l'objet du désir, tous ces éléments sont intimement liés, puisque l’œil voit, le cœur désire et le corps accomplit (Midrach Tan'houma).

Prenons l'exemple d'une blessure existentielle[2], comme un harcèlement moral dans un cadre professionnel, une emprise dans un cadre familial (voire plus spécifiquement conjugal), une dépersonnalisation dans un cadre éducatif[3]. Face à son « bourreau », la « victime » pourra développer un très large éventail de réactions physiques, dont le dénominateur commun est que ces réactions le diminueront, l'empêcheront d'une manière ou d'une autre. La « victime » pourra même suivre une direction qu'elle ne cautionne pourtant aucunement, par la seule crainte des réactions de son « bourreau », parfois par la seule crainte de sa présence…

À ce stade, il nous faut évoquer un autre aspect, plus subtil.

S'il est entendu que le vécu alimente le réflexe conditionné, ce que l'on appelle « le vécu », justement, n'est pas toujours le fruit de circonstances extérieures passées. Il peut correspondre à un vécu perpétuel, alimenté à chaque instant de l'intérieur, par le sujet lui-même. C'est un autre type de conditionnement, plus subtil comme nous l'écrivions, car orchestré (et toujours justifié) par sa propre personne.

Il existe donc des réactions que la vie n'a plus besoin de conditionner chez le sujet, puisqu'il se conditionne lui-même plus ou moins inconsciemment[4] à les reproduire. L'une des illustrations les plus paradoxales, les plus tragiques aussi, vise à la prolongation d'une situation d'échec. Dans ce cas de figure, une question se pose : qu'est-ce qui peut bien motiver une personne à entretenir sa souffrance, serait-ce de manière inconsciente ? Car l'être humain reste doué de raison… jusque dans sa folie. Il doit donc forcément y avoir une explication rationnelle permettant d'expliquer l'intérêt[5] à prolonger l'insuccès, à repousser la vie dans un mouvement-réflexe quand elle tente un contact avec soi.

La raison tient en peu de mots : la crainte de la réussite.

Ou, plus exactement, le refus de se projeter dans une logique de succès, de bonheur. En d'autres termes, le refus d'une quelconque compatibilité avec la vie. Pourquoi cela, dirons-nous ? Pourquoi refuser d'être heureux ? Pourquoi ce réflexe insensé ? Mais il n'est pas insensé ! Il est tout à fait logique. Pour les personnes à qui le vécu (extérieur) a « démontré » l'inadéquation avec la réussite, le vécu (intérieur) devient similaire. On ne se croit pas capable d'avoir une place dans le monde car on n'en a été que trop rejeté. Ici, la folie serait presque d'opposer l'espoir à un vécu si désespérant…

Pourtant, cette folie équivaut au début de la délivrance. Si ce qui a été devait conditionner ce qui sera, le monde serait terriblement injuste et arbitraire. Or le monde n'est pas ainsi, et l'homme n'existe que par le changement, car l'homme ne vit que pour changer ! Aussi, dans un tel cas, sortir du réflexe conditionné passe par le refus de modeler (soi-même) sa vie à venir comme elle le fut (par d'autres) par le passé. Rejeter la soi-disant logique qui énonce, froide et implacable : « Parce que j'ai été malheureux, je serai malheureux ». Refuser le réflexe conditionné revient ici à croire, à opposer l'espoir (ou en tout cas la possibilité d'un mieux-être) au désespoir.

Ces réflexes conditionnés tel que nous les avons effleurés, et d'autres encore, nous les disons « conditionnés » car le vécu les a rendus normaux. Le conditionnement, c'est la force ce l'habitude.

Eh bien ! Devant cette force puissante, véritable déferlante irrésistible pense-t-on, comment réagir ? La construction de soi commence concrètement par la réponse à cette question.

  • Il y a d'abord le fait de repérer son conditionnement. De trouver les ressources pour reconnaître : « Là, je me retrouve dans ce contexte que je ne connais que trop bien ». Il faut bien savoir que repérer le danger, c'est déjà se construire.
  • Il y a ensuite la réactivation, par laquelle on repense à sa manière de réagir toutes les fois où on a subi ce contexte. Cette réactivation purement subjective a un avantage certain : « se » séparer de « soi », le « se » désignant l'être en quête de changement (de construction personnelle), et le « soi » désignant l'être n'ayant jamais profité de ce changement (l'être relativement non construit, donc).

  • Il y a ensuite l'élaboration d'une stratégie, d'outils existentiels aptes à engendrer une évolution dans le bon sens, à faire pencher le « soi » vers le « se », pour se référer au point précédent.

  • Il y a enfin l'utilisation de ladite stratégie dans la vie de tous les jours et, phase intimement liée, l'observation et la compréhension de ses effets. Ce qui, bien entendu, aidera à affiner encore la stratégie.

Voici, en peu de mots, comment il est possible de résumer la construction de soi. Nous l'aurons compris, à toutes ces étapes il peut être utile d'être accompagné, avant de devenir autonome. Là est l'enjeu. La personne construite n'est pas celle qui ne perd jamais, qui ne souffre pas, qui ne connaît pas l'erreur. Absolument pas ! En fait, la personne construite est celle qui sait comment gérer ce que la plupart appellent… les aléas de l'existence.

[1]  Mélange subtil de réalisme, d'éveil, d'introspection, de maîtrise et d'optimisme.
[2]  C'est-à-dire l'étouffement du besoin d'exister.
[3]  Qui n'a dès lors plus le moindre caractère éducatif !
[4]  Et néanmoins activement, ce qui nous permet de rappeler au passage que les mécanismes inconscients, que l'on ne voit pas, que parfois on ne sait pas, n'en sont pas moins extrêmement agissants.
[5]  Le mot a été pesé soigneusement.

L'auteur, David Benkoel

Analyste, j'aide des personnes passant par diverses difficultés psycho-émotionnelles à se reconstruire.
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