On ira tous au paradis !
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« On ira tous au paradis ! » affirmait une chanson populaire. Comme pour se rassurer à peu de frais. Comme pour, dans le tourbillon d'un air guilleret, envoler les craintes associée à l'au-delà, cette destinée qui repose sur la foi de l'homme et rien d'autre[1]. Alors, ira-t-on tous au paradis ? Rassurons-nous : oui. Mais pas à n'importe quel prix. Et ça, la chanson ne le disait pas !

Il nous faut confronter deux enseignements tirés du même Traité du Talmud, Sanhedrin. En fait, il est même inutile de les confronter, tant ils s'opposent naturellement :

Tout Israël a part au monde futur

Et ceux-ci n'ont aucune part au monde futur.

En effet, ceux-ci désignent également des âmes d'Israël. La contradiction est évidente, et il nous faut tenter de la dépasser[2].

Il faut savoir que D.ieu a créé l'univers pour une unique raison : faire du Bien. Non pas « du bien » mais « du Bien ». Non pas du bien au sens humain mais du Bien au sens divin. Car il arrive souvent que le mal perçu comme tel d'en bas, au travers de la compréhension des hommes, soit du Bien, vu d'en haut. De la même manière, du bien perçu comme tel d'en bas peut être du mal, vu d'en haut. Nous autres, humains, jugeons à très petite échelle d'espace, de temps, de conscience, alors que devant D.ieu tout est dévoilé, tout est clair, tout est cohérent de bout en bout. Cela aussi il faut le savoir, ou plutôt l'intérioriser : ce que D.ieu fait, Il le fait à une échelle qui transcende absolument l'homme.

Quoi qu'il en soit, D.ieu ne nous a créés que pour nous faire du Bien.

Ce Bien a de nombreuses facettes. Ultimement, il désigne la part au monde futur évoquée par le Traité Sanhedrin. Une promesse d'éternité heureuse, sans les souffrances et les doutes qui semblent décidément être notre lot ici-bas. Une éternité dont les tristes questions sans réponses sont exclues, une éternité de savoir, de compréhension, de certitudes, de sérénité, que ni rien ni personne ne nous enlèveront jamais.

Seulement voilà, cette part est purement potentielle.

Elle ressemble, pour utiliser une métaphore, à un palais magnifique que D.ieu aurait construit à l'intention de chacun d'entre nous, un palais qui n'attend que nous pour offrir tout le confort dont il est pourvu. Mais ce palais, cette part, ne nous est que promise. En aucun cas, elle nous est due. S'il en va de la sorte, comment l'obtenir ? Là réside une autre vérité fondamentale qu'il importe d'intégrer : il faut la mériter.

Si on le mérite, on goûte à l'éternité. Tout Israël a part au monde futur, bien sûr… pour peu qu'il en soit digne. La place existe, elle se trouve là, devant l'homme, ou plutôt au-dessus de lui[3], dans un autre monde. Et malgré le fait qu'elle semble loin, elle reste sa propriété personnelle inaliénable. Une propriété exigeante aussi, puisqu'elle demande à être gagnée, réclamant une forme de préparation pour espérer y résider.

Et si l'homme ne la mérite pas ? S'il néglige de se préparer à résider dans sa demeure céleste, préférant dédier sa vie à des projets sans réelle importance ? S'il n'a que faire de la justice, de la vérité, de la paix, de D.ieu, des autres, de soi ? Si, au cours des quelques années de sa vie, il persiste à s'enivrer dans un tourbillon que lui seul peut-être trouve encore guilleret, profitant de tout et de tous, aux dépens de sa conscience qu'il engourdit, qu'il soudoie ? Bientôt il se croit tout permis. Il s'imagine pouvoir, à loisir, maudire ou mépriser, détruire ou se moquer. Et pour se sentir moins seul sur sa route qui mène au néant[4], il n'hésitera pas un instant à faire entrer les autres dans la danse dangereuse.

Pour un tel homme, serait-il juste de jouir ensuite de la Présence de D.ieu pour l'éternité ? Non, cela serait profondément injuste. Pour cette raison, cela ne saurait arriver car D.ieu est juste.

Certains pourraient donc être privés[5] d'accéder à cette place que D.ieu leur a dédiée depuis les six jours de la Création. En effet, nos Maîtres expliquent que durant la Création D.ieu a créé l'homme ici-bas et dans le monde futur. Pour le dire autrement, la part au monde futur fait partie de l'homme. Quant à l'homme, tient-il vraiment à sa part ? Telle est la grande question de la vie.

Aussi fou que cela puisse paraître, il est des hommes qui n'ont aucune part au monde futur car il ne veulent pas de cette part, de leur part. Peut-être prétendent-ils le contraire, mais dans les tréfonds de leur cœur l'affirmation est moins sûre. Eh bien ! Même à eux, D.ieu finira par donner ce à quoi ils ont droit. Seulement, combien de souillures accumulées en ce monde faudra-t-il nettoyer ? Nous le savons désormais, on ne rentre pas dans le monde futur vêtu de haillons, de vêtements tâchés, malodorants. Il faut se préparer, nous l'avons écrit, il faut laver les traces plus ou moins profondes laissées par nos mauvais choix.

Ce nettoyage spirituel fait mal. Il cause des souffrances qui dépassent l'entendement. Pourtant, ces souffrances nécessaires passées, sa pureté retrouvée, voici l'homme apte à rentrer, sans honte aucune, dans le royaume de D.ieu.

Certes, « on ira tous au paradis » ! Mais pas par le même chemin.

Notes

[1]  Plusieurs enseignements de la Torah orale donnent néanmoins la parole à des individus ayant visités l'au-delà.

[2]  Serait-ce au nom du principe : « Ecarte-toi du doute » (Avoth 1,16).

[3]  La préposition ne renvoie évidemment pas à une position supérieure dans l'espace, mais dans l'essence même de la vie qui y a cours. En un mot, « au dessus » en sainteté.

[4]  Voir Tehilim 1,6.

[5]  Car ils s'en privent eux-mêmes, nous l'aurons compris.

L'auteur, David Benkoel

Analyste, j'aide des personnes passant par diverses difficultés psycho-émotionnelles à se reconstruire.
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